La mer, ce bien commun, est la clé de voûte du système climatique de notre planète. Le système économique mondial tout comme notre survie dépend de la préservation des océans et des mers.
C’est dans ce contexte, que s’est tenue la 5ème édition du forum de la mer qui s’est déroulé le vendredi le 26 septembre à Bizerte, en Tunisie. Un Rendez-vous international consacré aux enjeux maritimes. Une occasion pour faire le point sur les risques, les enjeux et les pistes de solutions.
Les océans et les mers : les dangers qui guettent l’humanité
Les océans recouvrent plus de 70 % de la surface du globe. La mer Méditerranée, la plus vaste des mers intercontinentales s’étend sur 2.9 millions de km2 et représente 0.8 % des eaux du globe. Située entre l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Asie de l’Ouest, elle est comme son nom l’indique «au milieu des terres». Sa position est un facteur aggravant la concentration de la pollution plastique. Selon un rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF) de 2019, la concentration de plastique ferait d’elle la mer la plus polluée du monde.
Mais la pollution n’est pas le seul danger guettant la Méditerranée. Cet été, la moyenne de la température de la Méditerranée a augmenté de 6 degré par rapport à la normale, un résultat direct de la crise climatique qui rend la situation de plus en plus critique pour le vivant:
« Il y’a des endroits dans le Méditerranée ou tout l’été pendant plus de 90 jours, la température est restée au niveau maximum ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant. La température a atteint des maximales qui ne redescendait jamais. Des espèces marines souffrent énormément, il n’ y a pas de répit, ça reste constant et on a des vagues de chaleur qui sont dominantes et invasives partout dans la Méditerranée surtout dans la partie Ouest et c’est catastrophique. »
Pierre Bahurel, directeur général de Mercator Ocean.
La santé des océans et des mers : un défi géopolitique
Depuis plus de 42000 ans, les Hommes profitent des ressources de la mer pour s’alimenter.
Plus de 3 milliards de personnes dépendent des produits de la mer qui contribuent à hauteur de 20% des protéines de leur alimentation. Compte tenu de l’impact économique de la pollution et de la crise climatique sur les secteurs de la pêche, de la navigation et du tourisme, le phénomène peut également représenter un enjeu de sécurité alimentaire à cause des risques qui pèsent sur moyens de subsistance de certaines populations.
« Dans le golf de Guinée, 80% des protéines alimentaires sont apportées par la pêche, or cette zone est actuellement pillée de manière très inquiétante. Le dérèglement climatique c’est un élément essentiel de cette équation géopolitique parce que le dérèglement climatique impliquera des crises migratoires et l’atteinte à la biodiversité donc moins de nourriture dans les mers. »
Yann Briand, le chef du Bureau Stratégie et Politique de l’Etat-major de la Marine française
C’est dans ce sens que la marine Française travaille sur la protection de la mer de toute activité illégale menaçant la biodiversité et essaye d’assurer une sécurité environnementale dans un contexte dominé par des enjeux géopolitiques :
« Depuis la chute du mur de Berlin pendant 30 ans on a eu des crises en Afrique, au Moyen orient en Asie et à chaque fois on revient à un état d’équilibre plus ou moins acceptable , là on est sur des chocs successifs et qui vont s’accumuler : un choc sanitaire, un choc économique, un choc militaire avec l’Ukraine, un choc environnemental et le monde qui va ressortir de tout ça à la fin sera radicalement différent! » renchérit Y.Briand.
Même constat pour Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en France.
« C’est sur la mer que les grands conflits vont se transporter dans les années à venir. »
Olivier Poivre d’Arvor
Les espaces maritimes constituent un enjeu géopolitique considérable et révèlent de nouvelles ambitions stratégiques pour des raisons économiques et démographiques. Les chiffres révèlent que 65% de la population mondiale vit dans des zones portuaires et côtières.
« La mer est aujourd’hui un object économique disposant de grandes ressources. En 2030, les revenus de la mer seront plus importants que ceux de la terre, donc évidement ça aiguise les appétits des pays, des Etats et des entreprises. Toute forme d’appropriation et de privatisation de la mer peut la menacer. Nous pensons, en raison d’enjeux climatiques et environnementaux, que la mer est un bien commun qu’il faut protéger. Elle ne peut pas être privatisée! »
O.P.d’Arvor
Aussi, l’humanité arrive aux limites de l’exploitation possible sur Terre, et face aux besoins des populations et aux enjeux politiques associés, les Etats et les entreprises tournent leur regard vers ce qu’il reste d’exploitable sur la planète : la mer. Il en découle une course aux ressources marines, des bancs de poissons aux métaux critiques en passant par l’exploitation de pétrole et de gaz. Certains pays s’attachent à réglementer l’espace maritime plus qu’il ne l’est déjà pour pouvoir continuer l’exploitation dans un cadre légal et réglementé.
Ces exploitations économiques ravivent des contentieux historiques et servent parfois de justifications aux volontés de contrôle de zones maritimes. Il devient urgent que les états travaillent ensemble sur une gouvernance partagée des océans et des mers.
« l faut provoquer des chocs de coopération, il y’a pour la Méditerranée beaucoup de mécanismes qui existent comme la convention de Barcelone mais aucun d’entre eux n’arrive à produire ce choc de coopération qui font que les 21 pays vont travailler ensemble. Le choc de coopération c’est aussi pour éviter ce choc de polarisation entre les intérêts économiques, la défense de l’environnement et les interêts de certaines nations qui ont envie de posséder les ressources naturelles. »
O.P d’Arvor
Il est manifestent urgent que les pays travaillent ensemble et partagent la science, les diagnostics et les solutions, pourtant la réalité semble toute autre selon Y. Briand:
« Alors qu’en ce moment il faut être autour de la table entrain de se discuter sur comment on fait pour protéger l’environnement, on n’est pas du tout entrain de le faire entre les grandes puissances et c’est extrêmement inquiétant. En plus des crises migratoires s’ajoute à cela la pollution avec le dérèglement climatique et la pollution marine, c’est un cocktail assez inquiétant! », c’est ce constat alarmant que fait Y.Briand.
L’espace et l’intelligence artificielle au service de la connaissance des océans et des mers
Malgré toutes ces menaces, le manque de coopération multilatérale et les défis environnementaux et géopolitiques, scientifiques, climatologues et marine travaillent parfois ensemble pour trouver des moyens plus efficients et efficaces dans le but de mieux anticiper les anomalies dans la mer et protéger la biodiversité. C’est justement ce travail d’anticipation qui permet de mieux faire face aux crises. La cartographie des fonds océanique est un exemple parfait de coopération salutaire.
Pour comprendre la planète terre, il est important de cartographier ses fonds océaniques. A cette fin, les scientifiques utilisent les satellites d’observation des océans qui permettent de mieux comprendre l’évolution climatique de notre planète et de sauvegarder les écosystèmes marins.
Ces satellites fournissent des images caméras, des images radars et des données brutes qui vont être analysés par les scientifiques. P.Bahurel affirme dans ce sens que:
« Ces satellites nous permettent d’obtenir une cartographie plus précise des océans et en plus de faire une cartographie qui recouvre toute la planète terre en 10 jours. Ça a déclenché toute une nouvelle discipline d’océanographie opérationnelle qui consiste à faire de la prévision et des bulletins comme pour la météo mais pour l’océan. »
P.Bahurel
Ces satellites permettent également d’obtenir des mesures précises en temps réel pour suivre les températures, les courants et les concentrations de phytoplancton. Ces mesures sont nécessaires pour la conservation de la biodiversité marine parce qu’elles contribuent à anticiper les crises, comme les crises alimentaires et migratoire. Y.Briand, explique l’importance de ces mesures et de la coopération entre marine et scientifiques:
« On travaille avec l’université de Sorbonne et la fondation Tara Ocean qui ont installé des satellites sur nos bateaux pour mesurer la concentration du plancton sur nos bateaux .C’est très interessant parce que le plancton est présent là où il ya les poissons, là où il y’a les poissons les gens peuvent s’alimenter, si le plancton est n’est plus là, il n’y aura plus de poissons donc il y aura des crises. On a besoin de ce lien scientifique pour anticiper les crises. »
Y.Briand
Mais le rôle de cette technologie ne se limite pas à prendre une photographie du réel en un instant donné. Les satellites permettent également d’anticiper l’avenir. Les cartographies produites grâce aux satellites sont transmises aux climatologues et aux biologistes qui les analysent et élaborent des scénarios possibles de l’évolution du climat et des risques sur la biodiversité marine. L’une des plus-values apportées par les satellites, c’est leur capacité à pouvoir observer l’impact de l’Homme sur les écosystèmes maritimes et prévoir les anomalies possibles. En 2019 par exemple, les satellites ont permis de suivre l’évolution de la nappe de pétrole causée par le naufrage du cargo Grande America.
« On sollicite beaucoup les entreprises privées utilisant les observations satellites pour pouvoir utiliser nos bateaux au mieux. On a 11 million de km2 à surveiller, il est donc important d’envoyer les bateaux au bon moment au bon endroit et c’est grâce aux satellites qu’on le fait » aborde dans ce sens Y. Briand.
Cependant, “la vie ne se laisse pas modéliser facilement.”
P. Bahurel
Face à cette complexité, l’Intelligence Artificielle (IA) représente une lueur d’espoir. En proposant de nouvelles solutions pour collecter, structurer et valoriser les données, l’IA peut fournir des ressources inédites afin de dresser une photographie actuelle de l’état de la biodiversité et de prédire son évolution. Appliquées au milieu marin, ces innovations permettent d’assurer la conservation et l’exploitation durable des écosystèmes marins et côtiers grâce au big data.
« L’enjeux aujourd’hui est de créer un jumeau numérique de l’océan dans lequel y’a la vie et pouvoir avoir une maquette qui nous permet d’interroger les scénarios qu’on est entrain de vivre et l’impact de nos décisions. »
P. Bahurel
This article was developed in collaboration with the Earth Journalism Media Mediterranean Initiative project.
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