“There is no planet B”, nous n’avons pas une autre planète, il faut agir maintenant. C’est le slogan utilisé par plusieurs activistes environnementaux et la réalité à laquelle nous devons faire face aujourd’hui. Avec l’accélération du réchauffement de la planète, la crise climatique est devenue indéniable pour les habitants de toute la planète. C’est dans ce cadre que le monde entier est entrain de penser à des nouvelles solutions pour atténuer et s’adapter au changement climatique, des solutions souvent technologiques, côuteuses et ayant des effets secondaires néfastes sur la nature. C’est pourquoi les scientifiques s’orientent vers la recherche de nouvelles solutions.
Et si nous nous inspirons de la nature pour trouver des solutions?
On entend dire dans les débats mondiaux sur le climat et la biodiversité, que les solutions que nous adoptons pour faire face à la crise climatique peuvent être obtenues par les solutions fondées sur la Nature: des solutions avantageuses et souvent moins couteuses que d’autres types d’interventions, ce qui rend leurs mises en œuvre possible partout dans le monde.
Des solutions fondées sur la nature pour protéger la nature
Apparu pour la première fois en 2009, dans un document préparé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pour les négociations mondiales sur le climat à Copenhague, les solutions fondées sur la nature (SFN selon l’acronyme français) sont un concept qui s’appuie sur les multiples services éco-systémiques fournis gratuitement par la nature.
Ce sont des différents types d’actions qui peuvent être combinées et implémentés via des mécanismes de:
- Protection d’écosystème fonctionnel et en bon état écologique ;
- Gestion durable des écosystèmes pour les activités humaines ;
- Restauration d’écosystème dégradé ou la création d’écosystème.
Les SFN doivent satisfaire à plusieurs exigences à savoir répondre aux défis sociétaux et apporter à la fois un bien-être humain et des bénéfices pour la biodiversité.
Ce concept est assez nouveau car il a été officialisé et défini en 2016 tout en sachant qu’il s’appuie sur des outils et des connaissances qui sont mises en œuvre depuis un fil de temps, tel que l’ingénierie et la restauration écologique.
Concrètement, une SFN est par exemple la restauration des forêts dégradées qui vont capter et stocker le gaz carbonique pour atténuer le changement climatique tout en offrant un cadre favorable à la faune et à la flore mais aussi un tas de bénéfices pour le territoire et les communautés avoisinantes.
La végétalisation des villes est un bon exemple de création d’écosystème qui va permettre de créer des ilots de fraicheurs, réduire l’intensité des canicules et restaurer la biodiversité dans les espaces urbains où le béton ne laisse pas place aux espaces verts.
Un autre exemple de SFN qui fait preuve de succès est la restauration des zones humides le long des courts d’eau qui vont permettre de stocker, infiltrer l’eau en cas de crue et par la suite réduire les risques liés aux inondations tout en préservant les habitations et les activités socio-économiques qui sont implantées le long de ces court d’eau.
Le concept des SFN a pris un essor et devenu de plus en plus utilisé par les collectivités, les décideurs et les financiers. C’est dans ce sens qu’un standard a été publié pour mieux encadrer ce concept et fournir un outil d’appropriation et d’accompagnement pour les porteurs de projets.
L’UICN a publié en juillet 2020 un standard des SFN qui vise à identifier les projets qui peuvent être qualifié comme solution fondée sur la nature. Ce standard contient 08 critères et 28 indicateurs précisent les éléments à inclure dans une SFN au niveau de la planification, du design et de la mise en œuvre.
Les projets basés sur les SFN en Tunisie, ça commence déjà
Le fond mondial pour la nature de l’Afrique du nord (WWF NA), est un pionnier à cet égard. Il a mené l’enquête sur le projet GEMWET selon les normes mondiales de l’UICN et ce dernier a été qualifié SFN avec 68% d’adhésion à la norme.
GEMWET « Conservation et Développement Durable des Zones Humides Côtières à Haute Valeur Écologique » est le seul projet en Tunisie qui se singularise par cette qualification. Il est mis en œuvre en 2018 au niveau de la lagune de Ghar El Melh appartenant au gouvernorat de Bizerte au nord de la Tunisie.
Dans le projet GEMWET, nous œuvrons sur des axes d’améliorations qui sont insuffisamment ou partiellement atteints selon les indicateurs de la norme de l’UICN. Un ensemble de recommandations et d’actions ont été identifiés et priorisés pour viser une solution fondée sur la nature plus forte et solide.
Affirme Imène Rais, coordinatrice du programme Eau douce au sein du WWF NA.
GEMWET à Ghar El Melh, une promesse pour un avenir meilleur de la région
Ghar El Melh, région côtière au nord-est de la Tunisie dotés d’atouts écologiques et historiques particuliers.
Plusieurs espaces lagunaires forment la région, tels que les Sebkhas, qui ont favorisé des pratiques d’agriculture et de pêche devenues très spécifiques à Ghar El Melh.
Il s’agit de la pêche artisanale et d’un système agricole ancestral distinct appelé « Gattaya » et aussi culture RAMLI*, une technique propre à Ghar El Melh qui consiste à aménager sur la Sebkha des terres cultivables.
Les lagunes de Ghar El Melh font partie du bassin versant de la Madjerda, le plus grand cours d’eau de la Tunisie vers la mer Méditerranée qui fournit 40% de l’eau potable aux Tunisiens.
Cette zone humide est classée « Zones Humides à Importance Internationale », un label attribué par la convention de RAMSAR* en 2007 et offre une pléthore de faunes et de flores dont des espèces menacées. En 2018, la ville a été aussi classée « Ville des Zones Humides » par la même convention.
Cependant, les pressions anthropiques et environnementales auxquelles Ghar El Melh et ses zones humides sont confrontées couplées à sa fragilité au changement climatique ainsi que sa richesse écologique et patrimoniale justifie le choix de Ghar El Melh pour la mise en œuvre du projet GEMWET.
Tous les problèmes à Ghar El Melh sont en partis liés à la détérioration de la circulation de l’eau dans la lagune et plus précisément à la Sebkha de Sidi Ali Mekki. Ce problème due aux changements climatiques et à l’urbanisation effrénée menace le fragile écosystème de la lagune. La Sebkha subit un dessèchement engendrant une montée de la salinité de l’eau douce et altérant l’irrigation automatique des plantes qui finissent par mourir, d’où un déclin de l’agriculture et la mort graduelle de la Sebkha.
Déclare Imène Rais à Blue TN.
La région de Ghar El Melh est donc confrontée à d’immenses problèmes sociétaux, notamment :
- Le risque pour la sécurité de l’eau en raison de l’augmentation de la salinité et de la pollution
- Risque pour la sécurité alimentaire en raison de la diminution des rendements agricoles et de la pêche.
- Une diminution du développement économique et social due à la perte des moyens de subsistance traditionnels.
C’est dans ce sens que WWF NA travaille avec des scientifiques et des experts pour implémenter ces solutions dans la région de Ghar El Melh afin d’assurer la régénaration et la protection de cet écosystème rare:
On œuvre avec le WWF NA pour créer un passage à l’eau entre la mer et la lagune pour régénérer le fonctionnement hydrogéologique naturel de la lagune qui par la suite va permettre d’assurer la continuité de l’agriculture de culture RAMLI d’une façon durable. Il s’agit d’identifier des solutions de restauration basées sur la nature afin d’améliorer le débit et la qualité de l’eau dans la lagune de Ghar El Melh qui a subi une dégradation due aux activités de l’homme comme la construction de la route, et l’invasion de la lagune par les constructions qui ont obstrué le passage de l’eau.
Affirme Raoudha Gafrej à Blue TN, universitaire et experte en eau et en adaptation au changement climatique.
Les activités humaines dans cette région a rendu la situation compliquée, seules les SFN peuvent résoudre ces problèmes d’une façon efficace:
Ce phénomène va utiliser les fonctions de la nature pour corriger les problèmes qui ont été crées par l’homme sur un écosystème bien déterminé. Le grand intérêt des SFN c’est qu’elles ne sont pas risquées, car elles n’ont pas d’effets négatifs sur la nature par rapport aux autres solutions.
Ajoute Raoudha Gafrej.
Les premiers bénéficiaires de ce projet est la communauté de la région de Ghar El Melh, notamment les pêcheurs et les agriculteurs qui exploitent les lopins de terres appelés « Gattaya ou aussi culture Ramli ». Ce projet va garantir également la préservation de l’écosystème et la protection des principales activités socio-économique de la région de Ghar El Melh.
L’enjeu aujourd’hui est de reproduire ce modèle dans d’autres régions du pays afin de protéger les communautés vulnérables des conséquences qui émanent de la crise climatique.
- *Convention de Ramsar : un traité intergouvernemental ouvrant pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides, à laquelle la Tunisie a adhéré en 1980 par l’inscription du site de l’Ichkeul et compte nombreuse zones humides d’importance internationale.
- * Culture RAMLI : cultures uniques au monde reposant sur un système d’irrigation passive où les racines des plantes sont alimentées en toute saison par l’eau de pluie et l’eau emmagasinée dans la montagne suite à la formation karstique géologique qui assure un ruissellement continu de l’eau vers la lagune et la Sebkha.
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