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Le joyau aquatique de l’Afrique du Nord est en grand danger ! Situé à 86 kilomètres de Tunis , le lac Ichkeul est le dernier grand lac d’eau douce de la région, souffre d’une surexploitation alarmante de ses ressources en eau, amplifiée par les effets dévastateurs des changements climatiques. Une chute dramatique de son alimentation en eau met désormais en péril la biodiversité exceptionnelle et la survie même de cet écosystème unique au monde.

Ichkeul, Bizerte, Juin 2023

Une voix s’élève parmi les lamentations silencieuses du lac Ichkeul, résonnant avec amour et désespoir. Monsieur Jamel May, 56 ans, veille sur ce trésor naturel depuis 35 ans, exprimant sa passion indéfectible pour les oiseaux et sa profonde connexion avec la nature. Cependant, chaque jour qui passe lui fait prendre conscience de la détérioration alarmante de ce lac autrefois majestueux. La diminution inquiétante du niveau d’eau et l’augmentation anormale de la salinité constituent pour lui des sujets de préoccupation majeurs.

Témoin impuissant de l’évolution du climat, Jamel May se fait le porte-parole des menaces auxquelles le lac Ichkeul est confronté. Le réchauffement climatique, en particulier, est à l’origine de cette crise. Les conséquences de cette dégradation sont désastreuses, compromettant l’avenir de la faune et de la flore qui trouvent refuge dans ces eaux précieuses.

Autrefois abondamment alimenté par des sources d’eau douce, le lac Ichkeul est désormais victime de la soif insatiable de ressources en eau de la part des activités humaines avoisinantes. L’exploitation excessive a atteint des proportions alarmantes, privant le lac de son élixir vital. Les réserves s’amenuisent à vue d’œil, menaçant l’équilibre fragile de cet écosystème millénaire.

Le cri d’alarme de Monsieur Jamel résonne dans le cœur de chaque amoureux de la nature. La biodiversité unique de cet écosystème est en grave danger. Des espèces d’oiseaux migrateurs, qui trouvaient refuge dans ces eaux paisibles lors de leurs longs voyages, risquent aujourd’hui de ne plus pouvoir se reposer et se ravitailler, mettant en péril leurs cycles de migration.

Le lac Ichkeul, jadis un symbole de vie et de fertilité, risque de devenir un témoin silencieux de la disparition progressive de son propre écosystème. Les conséquences écologiques et économiques d’une telle perte seraient dévastatrices pour la région et au-delà.

Le lac Ichkeul : Un joyau naturel entre deux mondes

Plongez-vous dans l’univers unique du lac Ichkeul, ce trésor naturel niché au cœur de l’Afrique du Nord. Ce dernier grand lac d’eau douce de la région se distingue par son fonctionnement hydrologique exceptionnel. Au gré des saisons, il offre un spectacle époustouflant, avec des niveaux d’eau et de salinité qui oscillent telles les notes d’une mélodie envoûtante.

Pour les passionnés d’ornithologie, le lac Ichkeul est un véritable paradis. Des centaines de milliers d’oiseaux migrateurs y trouvent refuge chaque hiver, faisant de ce lieu une étape cruciale dans leur périple. En effet, reconnu comme réserve de biosphère par l’UNESCO depuis 1977, inscrit au patrimoine naturel mondial depuis 1979, classé site Ramsar* depuis 1980 et désigné zone humide importante pour la conservation des oiseaux par BirdLife International en 2001, le lac Ichkeul est une perle rare à préserver.

Sa particularité hydrologique lui confère une place à part dans le monde. Connecté à la lagune de Bizerte par l’intermédiaire de l’oued Tindja, le lac Ichkeul se nourrit des eaux douces de son bassin-versant pendant la saison hivernale. En été, tel un prodige de la nature, il inverse son cours et accueille les eaux marines avec grâce.

Le lac Ichkeul est bien plus qu’un simple lieu de passage pour nos amis ailés. Il est un véritable carrefour migratoire entre l’Europe et l’Afrique, attirant des milliers d’oiseaux chaque année, soit une moyenne de 150 000 oiseaux par an.

Sa densité avifaunique* est cinq à sept fois supérieure à celle des habitats d’hiver les plus renommés au monde. Les oiseaux ne font pas qu’y faire une halte, ils y trouvent également un havre pour la nidification et la reproduction. Parmi les espèces les plus abondantes, nous retrouvons les foulques, les fuligules et les canards siffleurs, véritables symboles vivants de cette richesse naturelle.

Pourtant, ce tableau idyllique est assombri par une menace grandissante. Trois espèces d’oiseaux présentes dans le lac Ichkeul sont aujourd’hui en danger d’extinction : l’érismature à tête blanche (Oxyura leucocephala), le fuligule nyroca (Aythya nyroca) et la sarcelle marbrée (Marmaronetta angustirostris) , mettant en péril l’équilibre fragile de cet écosystème. Il est de notre devoir, en tant que gardiens de la nature, de prendre des mesures concrètes pour protéger et préserver ce patrimoine d’une importance mondiale.

Les eaux du lac Ichkeul menacées : Les changements climatiques à l’origine d’une crise sans précédent

Une inquiétude grandissante plane au-dessus du lac Ichkeul, un spectacle jamais vu au cours de son histoire millénaire. Les eaux qui, autrefois, s’écoulaient librement vers la lagune de Bizerte via l’oued Tindja, sont désormais retenues captives. C’est avec une lueur d’anxiété dans les yeux que Monsieur Borni Rejeb, responsable de la réserve naturelle de l’Ichkeul, tire la sonnette d’alarme.

Depuis 2015, le lac subit une diminution spectaculaire des eaux de ruissellement, une situation principalement imputable au manque de précipitations. Les chiffres sont accablants : les pluies n’ont pas dépassé les 400 mm à Ichkeul, alors que le lac a un besoin vital de 625 mm pour maintenir son équilibre. Les conséquences sont désastreuses. Le réchauffement climatique, accompagné de températures en hausse, a provoqué une évaporation intense, entraînant une diminution drastique des niveaux d’eau dans tout le lac. Les eaux ont reculé de manière alarmante, se retirant d’environ 1,5 km. Pire encore, les sédiments se sont accumulés à la sortie du lac, obstruant le canal et réduisant considérablement le débit d’eau sortant.

Le tableau est sombre, et les conséquences de cette crise sont multiples. La faune et la flore qui dépendent de ces eaux précieuses sont directement menacées. Les oiseaux migrateurs qui trouvent refuge dans ce havre de paix lors de leurs longs voyages risquent de voir leur séjour compromis. Les écosystèmes fragiles qui se sont développés autour du lac Ichkeul sont en danger, leur survie étant étroitement liée à l’équilibre hydrique.

Nous sommes face à un défi sans précédent. Les changements climatiques ont des répercussions dévastatrices sur les eaux du lac Ichkeul, menaçant ainsi l’équilibre fragile de cet écosystème unique. Il est urgent d’agir pour éviter un désastre écologique.

Borni Rejeb

C’est un écosystème fragile qui se trouve aujourd’hui au cœur d’une véritable lutte pour sa survie. L’équilibre délicat de la biodiversité du lac Ichkeul repose sur un facteur crucial : la salinité, qui est directement influencée par la quantité d’eau présente dans le lac, déterminée par les précipitations, les déversements des barrages et les flux d’eau via l’Oued Tindja. Une variation de la salinité peut engendrer la disparition ou l’apparition de nouvelles espèces végétales et animales, entraînant une réduction des populations d’oiseaux migrateurs et une détérioration de la biodiversité dans l’ensemble de cet écosystème précieux.

Le lac Ichkeul est alimenté par six principaux oueds, qui apportent une eau douce essentielle pour maintenir une salinité optimale. En hiver, cette salinité atteint 5 g/L, créant un environnement propice à la croissance de diverses plantes aquatiques caractéristiques du lac, telles que les potamots, les nénuphars et les scirpes. Parmi ces végétaux, les potamots jouent un rôle essentiel en tant que nourriture préférée pour plus de 75% des oiseaux migrateurs qui peuplent le lac.

Malheureusement, la salinité actuelle dépasse les 30 g/L en hiver et atteint plus de 70 g/L en été. Cette augmentation alarmante a conduit à une diminution remarquable des Potamots, mettant en péril les populations d’oiseaux migrateurs qui en dépendent étroitement. Cette année, pas moins de 125 000 oiseaux ont choisi de s’éloigner du lac Ichkeul, préférant trouver refuge ailleurs, signe alarmant d’une détérioration en cours.

Le constat est sans appel. La salinité croissante menace les potamots et entraîne une diminution dramatique du nombre d’oiseaux migrateurs à Ichkeul. 125 000 oiseaux ont déserté le lac cette année, cherchant des horizons plus cléments . Une véritable sonnette d’alarme pour la survie de cet écosystème unique.

Borni Rejeb

En 1990, une écluse a été érigée sur l’oued Tindja, avec pour objectif de contrôler et réguler les flux d’eau entre le lac Ichkeul et la lagune de Bizerte. Elle devait retenir l’eau douce dans le lac au printemps et limiter l’intrusion d’eau de mer en été. Cependant, aujourd’hui, cette écluse demeure inutilisée, comme un symbole d’une gestion qui ne répond plus aux besoins actuels.

Pour pallier cela, six barrages ( illustrés dans la carte en dessus) ont été construits en amont du lac, sur les six principaux oueds qui l’alimentent : Joumine, Sejnène, Ghézala, El-Malah, Tine et Douimiss. Ces barrages avaient pour vocation principale de fournir de l’eau potable et de soutenir l’agriculture. Malheureusement, ils ont entraîné une diminution significative des apports en eau douce vers le lac. De plus, l’accumulation de sédiments dans ces barrages réduit considérablement leur capacité de stockage, notamment pendant les périodes de sécheresse. Les conséquences en sont une augmentation alarmante de la salinité et la disparition progressive de la végétation spécifique du lac, ainsi que des organismes qui en dépendent, tels que les petits poissons et les crustacés qui constituent la nourriture de l’avifaune aquatique du lac.

En effet, la qualité de la végétation dans le lac revêt une importance primordiale pour préserver la capacité d’accueil des oiseaux. Les plantes aquatiques jouent un rôle essentiel en fournissant abri et nourriture aux espèces aviaires. La réduction de cette végétation spécifique menace directement l’équilibre délicat de l’écosystème du lac Ichkeul.

La pêche dans le lac Ichkeul : Un avenir incertain pour une ressource précieuse

Avec la régression des potamots, c’est toute une chaîne alimentaire qui s’effondre, mettant en péril non seulement la présence d’oiseaux migrateurs, mais également la faune qui joue un rôle crucial dans l’alimentation des poissons à valeur commerciale.

Le lac Ichkeul abrite une diversité importante de poissons, principalement représentée par les muges et les anguilles. Les alevins de ces espèces, originaires de la mer, remontent à contre-courant à travers l’oued Tindja pour rejoindre le lac, où ils séjournent jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte. Ensuite, ils repartent vers la mer par le même oued selon l’Agence National de la Protection de l’Environnement (ANPE).

Cependant, la baisse du niveau d’eau et l’envasement du canal Tindja ont considérablement réduit la capacité de recrutement des alevins et entravé leur remontée vers le lac. De plus, le manque de courant sortant empêche les poissons adultes de migrer vers la mer. Cette situation constitue une menace pour la diversité écologique de la faune aquatique, en limitant les espèces présentes aux plus résistantes.

L’introduction de nouvelles espèces dans le lac entraîne également une diminution des espèces indigènes au profit d’espèces invasives. Cela a un impact négatif sur la production de poissons et, par conséquent, sur le commerce. Par exemple, 90% de la production d’anguilles du lac Ichkeul est destinée à l’exportation, tandis que seulement 10% est vendue sur le marché national.

La diminution des eaux des lacs : un problème d’ampleur mondial

« La quantité d’eau diminue dans plus de la moitié des lacs et réservoirs à travers le monde ». C’est la conclusion alarmante d’une nouvelle étude qui met en évidence la réduction des apports en eau douce, directement liée au réchauffement climatique et à la surexploitation des ressources en eau par l’humanité. Cette situation met en péril l’avenir même des lacs à l’échelle mondiale.

Le cas du lac Ichkeul ne fait pas exception. Malgré les efforts déployés pour protéger ce trésor international, les résultats sont loin d’être à la hauteur des enjeux. La préservation du lac est confrontée à des défis complexes, engendrés par les changements climatiques, la pénurie d’eau, la surexploitation des ressources, les activités économiques et le manque de financement.

Le lac Ichkeul se retrouve pris entre deux feux : d’un côté, la nécessité de préserver sa valeur écologique et sa biodiversité exceptionnelle, et de l’autre, le développement économique qui exerce une pression constante sur ses ressources. Cette situation complexe rend la gestion et la préservation de cet écosystème naturel précieux de plus en plus difficile. Nous sommes donc confrontés à une question cruciale : faut-il envisager une artificialisation du lac comme une nécessité, voire une obligation, afin de sauvegarder ce patrimoine naturel unique et exceptionnel ?

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Sources:

Ferdaous Jaafar

Docteur en Sciences Biologique.

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