Alors que les oliveraies tunisiennes se couvrent de leurs filets, la filière oléicole retient son souffle. La Tunisie, qui se classe comme le troisième producteur mondial d’huile d’olive, se prépare à vivre une saison 2025 qui s’annonce exceptionnelle. Le paradoxe est encore plus exceptionnel : une récolte abondante, estimée à 340 000 tonnes d’huile, s’accompagne d’une chute accentuée des prix, ce qui inquiète même les plus petits producteurs. Derrière ces chiffres se cache une réalité complexe, liant les enjeux économiques et structurels. Mettant les coulisses de la prochaine campagne oléicole tensionnée sous la loupe.
L’oléiculture Tunisien : un Patrimoine de Diversité
Avec environ 1,8 million d’hectares d’oliviers, la Tunisie est un véritable musée de la biodiversité oléicole (source : Ministère de l’Agriculture). Cette richesse variétale, marquéepar les terroirs, est son premier atout :
- Nord-Ouest (Béja, Bizerte) : La Chétoui règne, offrant une huile fruitée, puissante et légèrement amère, très recherchée par les consommateurs.
- Centre (Sfax, Kairouan) : La Chemlali, adaptée aux conditions difficiles, produit une huile douce et équilibrée, importante pour l’export.
- Sud (Kébili, Tozeur) : La Zarrazi résiste bien à la sécheresse, offrant une huile subtile et légère.
- Montagnes de (Djebba, Thala) : Des variétés locales comme la Chemlali, la Gerboui ou la Sayali produisent des huiles aromatiques rares.

Production 2025 : Pourquoi avoir peur de l’Abondance
Selon les prévisions de l’Office National de l’Huile (ONH), la campagne 2024/2025 devrait atteindre un niveau record de 340 000 tonnes d’huile (source : ONH). Une telle abondance, normalement source de réjouissance, crée pourtant une pression incontournable sur le marché. Sur le marché intérieur, le prix de l’huile d’olive est tombé à environ 13–14 dinars le litre, soit une baisse de près de 50 % par rapport à l’année précédente. Pour les agriculteurs, le calcul est amer : les coûts de production (main-d’œuvre, intrants, transport) augmentent, tandis que le prix de vente s’effondre.
Stockage et Logistique : la Crise Silencieuse
Cette production attendue , considérée historique, met le pont sur une faille structurelle majeure : le manque abondant de capacités de stockage. Les cuves de l’ONH et des privés sont incapables de stocker un tel volume. Comme le résume le Syndicat des Agriculteurs Tunisiens dans les colonnes de L’Économiste Maghrébin : “L’Office de l’huile n’est pas en mesure d’absorber une récolte d’un million sept cent mille tonnes d’olives.” Cette saturation pousse les producteurs à vendre en urgence, souvent à perte, pour éviter la dégradation de l’huile. C’est un cercle vicieux difficile à contrôler : la surproduction entraîne des ventes paniquées, qui font chuter les prix et appauvrissent les producteurs.
Valorisation : la Voie vers la Rentabilité
Face à cette situation, la seule issue durable est de créer plus de valeur avec chaque litre d’huile produit. Le principal défi reste la dépendance à l’export en vrac. Mohamed Nasraoui, responsable des exportations à l’ONH, le confirme : “Nous devons diversifier nos marchés, notamment en Afrique et en Asie, pour éviter une dépendance excessive à l’Union européenne.” (La Presse de Tunisie).
Mais la diversification géographique ne suffit pas. Il s’agit surtout de conditionner et de vendre l’huile sous marque tunisienne.
Mariem Gharsallaoui, experte en filière oléicole, insiste : “Il est essentiel de renforcer la qualité, la traçabilité et la valorisation du produit à l’échelle nationale avant de viser les marchés internationaux.” (La Presse de Tunisie). Le développement des AOP/IGP, de l’huile biologique et des pratiques agricoles durables (cueillette manuelle, trituration rapide) devient crucial pour repositionner l’huile d’olive tunisienne dans la gamme premium mondiale.
Changement Climatique : l’Épée de Damoclès
Pire encore, une menace plus grave s’annonce : le changement climatique. L’olivier subit déjà les effets du stress hydrique, des sécheresses prolongées et des hivers irréguliers. La communauté scientifique tunisienne explore l’usage de variétés résistantes à la sécheresse (comme la Zarrazi) et la généralisation des systèmes d’irrigation économes en eau. Ces adaptations ne sont plus des options, mais des conditions de survie à long terme du secteur.
Xylella Fastidiosa : la Vigilance Maximale
En outre une autre menace, cette fois venue de l’extérieur : la bactérie Xylella fastidiosa. Si la Tunisie reste officiellement indemne, les autorités agricoles maintiennent une surveillance étroite.
Des mesures préventives sont en place : contrôle rigoureux des plants importés, formation des agriculteurs à la détection des symptômes et coopération avec les laboratoires européens de diagnostic phytosanitaire.
Comme le rappelle l’article “The serial killer Xylella fastidiosa: the Ebola of olive trees”, cette bactérie, déjà responsable de ravages en Italie et en Espagne, représente une menace silencieuse mais bien réelle pour l’oliveraie tunisienne. La prévention demeure le meilleur rempart : une introduction accidentelle de Xylella serait un désastre pour le patrimoine oléicole national. La campagne oléicole de 2025 pourrait bien marquer un tournant décisif pour le secteur tunisien. Face à ce paradoxe d’une abondance qui appauvrit, il est crucial d’investir dans le stockage, de renforcer la traçabilité et de bâtir une identité forte autour de la “Huile d’Olive de Tunisie” sur la scène mondiale. L’olivier, symbole ancien de paix et de résilience, mérite notre engagement collectif pour que chaque goutte d’huile non seulement ait un savoir-faire traditionnel, mais aussi une vision d’avenir durable.
Questions Fréquentes sur la Filière Oléicole Tunisienne
Q : Pourquoi les prix de l’huile d’olive ont-ils tant chuté cette année ?
R : L’offre dépasse largement la demande. La récolte record a saturé le marché, tandis que la demande locale reste limitée et les coûts de production élevés.
Q : Quelle est la variété d’olive la plus cultivée en Tunisie ?
R : La Chemlali, surtout dans la région de Sfax, pour sa bonne adaptation à la sécheresse.
Q : La Tunisie exporte-t-elle toute son huile ?
R : Non. Une part est consommée localement, mais la majorité est exportée, souvent en vrac, pour être reconditionnée sous des marques européennes, ce qui réduit la valeur ajoutée nationale.
Q : Que fait l’État pour aider les producteurs ?
R : L’ONH achète une partie de la production pour la stocker et réguler le marché, mais ses capacités sont limitées. Des discussions sont en cours pour renforcer les mécanismes de soutien et moderniser les infrastructures.
Q : Quel est le principal défi pour l’avenir ?
R : Passer d’une stratégie de volume à une stratégie de valeur : miser sur la qualité, le conditionnement, les marques tunisiennes et les certifications d’origine.
Références:
- Ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche (Tunisie) – Données statistiques sur la superficie oléicole nationale et la répartition variétale.
http://www.agriculture.tn - Office National de l’Huile (ONH) – Estimations officielles de la production oléicole 2024/2025 et évolution des prix du marché.
http://www.onh.com.tn - L’économiste Maghrébin – Déclarations du Syndicat des Agriculteurs Tunisiens concernant les limites des capacités de stockage nationales (édition septembre 2025).
https://www.leconomistemaghrebin.com - La Presse de Tunisie – Entretien avec Mohamed Nasraoui (ONH) sur la diversification des marchés d’exportation et citation de Mariem Gharsallaoui, experte en filière oléicole.
https://lapresse.tn - Blue TN – “The serial killer Xylella fastidiosa: the Ebola of olive trees”, article de Suivi détaillé du plan de prévention contre la Xylella fastidiosa en Tunisie.
https://bluetunisia.com/the-serial-killer-xylella-fastidiosa-the-ebola-of-olive-trees/ - FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) – Données mondiales sur la production d’huile d’olive et analyses climatiques régionales.
https://www.fao.org - Institut National de la Météorologie (INM) – Rapports climatiques 2024–2025 sur les épisodes de sécheresse et le stress hydrique affectant les oliveraies tunisiennes.
http://www.meteo.tn
Copyright © 2025 Blue Tunisia. Tous droits réservés