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Cous enserrés, nageoires cisaillées, intestins perforés, voilà ce que les pêcheurs de Monastir retrouvent chaque jour dans les poissons, les tortues marines et les dauphins. Ces animaux sont les victimes des tonnes de plastiques rejetés chaque jour dans la mer. Mais cette matière ne se limite pas à envahir les corps des animaux marins, elle s’est aussi infiltrée dans nos corps, via des particules fines ingérées par les produits de la pêche comestibles. Selon François Galgani, l’expert en éco-toxicologie et océanographe biologiste, ces micro-plastiques flottent à raison de 250 à 500 milliards de particules à la surface de la mer Méditerranéenne.  

Décembre 2022, Monastir

La pêche artisanale à Monastir : un héritage culturel et économique en danger

Ahmed Ghedira, Président de l’association Notre Grand Bleu, active dans la protection de l’environnement marin à Monastir, alerte depuis une dizaine d’année sur  la pollution plastique.

Depuis la côte, des tonnes de plastique finissent dans la méditerranée. Parfois ces plastiques, comme les sachets ou les pailles, sont utilisés moins de  30 secondes, mais vont polluer la mer durant des centaines d’années.

Ahmed Ghedira

Cette pollution menace l’une des plus importantes activités économiques de la région. Les filets des pêcheurs ne désemplissent plus de déchets. Oussama Makhlouf, pêcheur depuis 15 ans, se désole:

Qu’en une seule journée, on rentre avec un sac de 50 kilos complètement rempli de déchets en plastique : des sachets de toutes tailles, des chaussures, des bouteilles, venant d’Italie et de Libye” .

Oussama Makhlouf

Le même phénomène est aussi observé par Taoufik Mehdoui, pêcheur depuis 1987 se confie avec une amertume à peine retenue.

Je pêche du plastique de plus en plus souvent ces dernières années. Il y a deux mois, j’ai trouvé en pleine mer un sac géant rempli de bouteilles, de mules, de vêtements et d’autres déchets, jetés par des yachts. Même les fermes d’aquaculture participent à cette pollution en jetant dans la mer de grands sacs rigides d’alimentation de poissons.

T.Mehdoui

La pollution plastique n’est pas seulement un désagrément quotidien pour les pêcheurs, elle représente une double menace pour la pêche artisanale: d’un côté, les déchets plastiques sont ingérés par les animaux marins causant leur mort. De l’autre, ces déchets colonisent les habitats des animaux marins. Les bouteilles et les bidons qui se remplissent d’eau de mer ainsi que les pneus finissent par s’enfoncer dans les fonds. Ils se retrouvent bloqués sous les rochers et entre ces derniers. Les organismes marins ne trouvent plus d’abris pour se reproduire, s’accroître et se cacher. Ils s’enfuient pour chercher d’autres habitats inoccupés par le plastique loin des côtes tunisiennes. Ceci explique en partie la baisse spectaculaire des ressources halieutiques ces dernières années.

La mer a beaucoup changé à cause de la pollution par le plastique et nous en sommes les premières victimes. La quantité de plastique que nous attrapons dans nos filets est plus grande que la quantité de poisson. La quantité de poissons a diminué de 70% dans nos mers! Plusieurs espèces ont disparu : Pageot royal, Denti, et bien d’autres espèces. Il y a beaucoup de pêcheurs qui fuient la mer. Je connais sept qui ont vendu leurs barques. Ils ne sont plus capables d’assurer les charges de l’activité de pêche.

T.Mehdoui

Cet exode des pêcheurs et la baisse de la quantité des poissons traditionnellement pêchés à Monastir est également causée par un bouleversement de la biodiversité.  Se déplaçant au gré des courants, les macro-déchets, notamment en plastique, servent de radeau et transportent des organismes marins à des milliers de kilomètres de leur habitat d’origine, introduisant des espèces invasives bouleversant des écosystèmes marins entiers.

Le problème de la pollution par le plastique ne réside pas uniquement dans sa toxicité chimique. Les déchets en plastique apportent des espèces exotiques. Ces dernières créent un déséquilibre dans la biodiversité marine et entraînent de véritables désastres écologiques.”

Selon Hela Jaziri, assistante scientifique chercheuse à l’INSTM.

Pollution plastique : l’autre visage de la souffrance animale 

La pollution plastique ne menace pas seulement le gagne-pain des pêcheurs, elle est également la cause d’une souffrance animale de plus en plus visible. Selon l’Unesco, chaque année plus d’un million d’oiseaux marins et 100.000 mammifères se trouvent étranglés, étouffés, affamés ou mortellement blessés, à cause des déchets en plastique. Les engins de pêche, abandonnés ou perdus, continuent de piéger des milliers de poissons, tortues, oiseaux et mammifères marins. Ce phénomène s’appelle “la pêche fantôme”. Selon François Galgani, les engins de pêche perdus  sont les principales causes de la mort des grands animaux marins.  

A Monastir, Ghedira alerte sur l’ampleur de ce phénomène: « La vraie catastrophe réside dans les nasses en plastique nouvellement introduites en Tunisie!  Tout au long de la baie de Monastir, chaque année, à peu près 100.000 nasses sont délaissées au fond. Elles piègent et tuent de nombreuses espèces marines, dont beaucoup d’elles sont inscrites sur la liste rouge mondiale des espèces menacées, conçue par l’UICN. Nous trouvons du plastique dans 80% des animaux échoués et autopsiés chez nous. Une fois, nous avons trouvé une tortue emmêlée par des filets en plastique, et elle a  grandi dans cet état. Sa carapace s’est complètement déformée. » Il ajoute: « Nous avons aussi trouvé des bébés de tortues marines tués sur la plage de l’île Kuriat, les toutes petites tortues se sont retrouvées piégées dans des nasses et des filets en plastique abandonnés sur la plage. Ce phénomène n’est pas uniquement observé chez les tortues marines, qui avalent d’énormes quantités de sachets plastiques, mais aussi chez les Goélands. Plus de 90% des goélands retrouvés morts ont été étouffés par des déchets en plastique. »

Le micro-plastique : un poison invisible

La mer abrite, non seulement les macro-déchets en plastique, mais également des micro-plastiques, étouffant, irritant et empoisonnant, des plus petites espèces marines, comme le zooplancton, aux plus grandes comme les baleines.

D’après François Galgani, on estime à 24 milliards d’unités les micro-plastiques flottant à  la surface des océans. Ces petites particules, inférieures à 5 mm, ont deux principales origines. Il peut s’agir de microbilles, ou micro-plastiques  primaires utilisés directement dans l’industrie de fabrication des objets en plastique ou des produits cosmétiques et d’hygiène. Ces petites particules résultent aussi  de la dégradation des objets en plastique. Cette matière met plusieurs décennies à se décomposer dans la nature. Mais elle peut se fragmenter assez rapidement sous l’effet des facteurs climatiques : les radiations solaires, le vent, les courants marins et les frottements accélèrent la dégradation des macro-plastiques en de minuscules fragments.

La surveillance des plages de Monastir, a montré que les microplastiques trouvés proviennent principalement de microbilles. Ces particules sont considérées plus dangereuses chimiquement. Elles sont composées de polymères synthétiques et issus de pétrole, qui ne peuvent être que du poison pour la nature et l’humanité. Quant aux plages d’El Karaia et Palm Beach, nous avons démontré que les microplastiques secondaires sont issus de fragments de paille, des bouteilles, des gobelets, et aussi des grands sacs d’aquaculture pour l’alimentation des poissons.

Revèle Hela Jaziri

Ces microplastiques fixent des agents pathogènes et des contaminants chimiques, métalliques et organiques. Ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire après avoir été ingérés par des organismes aquatiques, provoquant éventuellement des infections, des étranglements, des blessures internes et des perturbations hormonales.  Dans ce contexte, une étude a été réalisée sur la pollution par le plastique du poisson commercial Serran écriture des côtes tunisiennes (Bizerte, Hergla, Chott Mariem et Monastir) et les altérations cellulaires associées. Elle a démontré l’apparition de nanoplastiques (des particules inférieures à 3 μm) dans le tractus gastro-intestinal et le muscle de cette espèce de poisson bentho-pélagique.

Citoyens, pêcheurs, et société civile : une prise de conscience collective 

Face à l’urgence des dégâts causés par la pollution plastique à Monastir, citoyens, pêcheurs et associations se mobilisent. Makhlouf est fier de contribuer à l’effort collectif à sa manière.

Mon père et moi, nous nettoyons toujours le port des déchets parfois même à mains nues. À chaque fois, nous récoltons toute une montagne de déchets coincés.

O.Makhlouf

La société civile se mobilise également, notamment grâce aux associations comme Notre Grand Bleu qui sensibilisent sur les risques que fait peser la consommation débridée de plastique sur l’environnement et la santé humaine et en appliquant les principes de l’économie circulaire.

Durant les campagnes de collecte de déchets sous marins, nous avons eu l’idée de contacter des associations soutenant les personnes en situation de handicap. Grâce aux déchets plastiques fournis par notre association, les bénéficiaires de ces associations ont fabriqué d’incroyables produits. Ces articles ont ensuite été commercialisés pour contribuer au revenu des bénéficiaires.

Affirme A.Ghedira

En plus de ces efforts locaux, un effort global supplémentaire sera nécessaire afin d’endiguer les conséquences de la pollution plastique. Selon F. Galgani “La Mer Méditerranée est la zone la plus affectée par la pollution plastique pour plusieurs raisons : c’est un bassin fermé, 30% du trafic maritime mondial y passe, et c’est la première destination touristique dans le monde. Elle  abrite également une population de près de 300 millions d’habitants!” 

Coopération internationale, instruments juridiques contraignants les industriels à délaisser le suremballage, comportements individuels adoptant a consommation responsable et raisonnée, le chemin vers un bassin méditerranéen libéré du plastique est encore long. Des solutions ponctuelles curatives à des alternatives préventives pour diminuer la quantité de plastique étouffant nos mers, c’est ce que François Galgani développe davantage dans l’interview vidéo suivante.

Interview François Galgani.

Cet article a été développé en collaboration avec le projet Earth Journalism Media Mediterranean Initiative.


Sources:

Zitouni, N., Bousserrhine, N., Belbekhouche, S., Missawi, O., Alphonse, V., Boughatass, I. & Banni, M. (2020). First report on the presence of small microplastics (≤ 3 μm) in tissue of the commercial fish Serranus scriba (Linnaeus. 1758) from Tunisian coasts and associated cellular alterations. Environmental Pollution, 263, 114576. https://doi.org/10.1016/j.envpol.2020.114576

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Ikram Ben Yezza

Blue TN journalist. I'm specialized in geospatial and environmental engineering .

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