Dans les profondeurs de la Méditerranée, la posidonie, appelée« Dhrii » en dialecte tunisien, lutte pour sa survie contre les effets dévastateurs des actions humaines, telles que l’aménagement du littoral, la pollution et le chalutage. Pourtant, de nombreux Tunisiens ignorent le rôle crucial que joue cette plante marine dans l’économie du pays. Souvent confondue avec une simple algue, Posidonia Oceanica est bien plus qu’une végétation aquatique. Elle est le pilier d’une forêt sous-marine, abritant de nombreuses espèces marines dont la survie dépend de son habitat. En protégeant les côtes de l’érosion, en générant de l’oxygène et en séquestrant le carbone, elle s’avère être une alliée précieuse pour notre écosystème. Cependant, des activités humaines négligentes font peser une grave menace sur ce joyau méconnu.
Monastir, juillet 2023
Posidonia Oceanica : Gardienne de la biodiversité marine et des écosystèmes côtiers
La posidonie, mère de la mer, insuffle la vie dans l’âme même de nos vastes océans. Sa présence est l’incarnation de la vitalité océanique et de l’harmonie écologique.
Sahbi Dorai, activiste environnemental passionné et biologiste marin spécialisé dans la conservation des posidonies.
Posidonia Oceanica, également connue sous le nom d' »herbe de Neptune », est une plante sous-marine indigène et endémique qui pousse dans les eaux peu profondes de la Méditerranée, jusqu’à 50 mètres de profondeur. Cette végétation marine joue un rôle essentiel dans le maintien du bien-être de l’écosystème local et revêt une importance écologique et économique considérable.
Environ 25 % de la zone comprise entre 0 et 50 mètres dans la mer Méditerranée est couverte par des prairies marines de posidonies.
Yassine Ramzi Sghaier, expert en biologie marine et militant écologiste, est président de TunSea, une organisation tunisienne dédiée à la protection de l’environnement marin.
Réputées pour leur capacité à filtrer les sédiments, les prairies sous-marines de posidonies, caractérisées par leur feuillage verdoyant, jouent un rôle essentiel à plusieurs égards. Leur premier rôle, comme celui de toute plante, est la photosynthèse, qui leur permet de capter le CO2 et de jouer un rôle crucial dans la séquestration du carbone, un aspect particulièrement important dans le contexte actuel du changement climatique. Mais leur contribution ne s’arrête pas là. Dans le réseau complexe de racines et de rhizomes qui constituent la base de la posidonie, le carbone est stocké pendant des périodes remarquablement longues, ce qui renforce encore son impact positif sur l’environnement. « On nous a appris que l’oxygène provient des forêts terrestres, alors que 60 % de l’oxygène que nous respirons provient en fait de la mer. La posidonie est le plus grand organisme sur Terre qui réalise une séquestration à long terme du carbone. En effet, par rapport à 10 forêts, l’herbier de posidonie séquestre le carbone 20 fois plus efficacement, ce qui est remarquable compte tenu de sa surface ». déclare Yassine Ramzi Sghaier.
Mais sa contribution ne s’arrête pas là. Elle constitue également une source fiable de subsistance et un refuge pour toute une flore et une faune marines, notamment les étoiles de mer, les oursins, les éponges, les hippocampes et les mollusques. La survie et la prospérité d’innombrables espèces sous-marines dépendent de la présence et de la santé de ces herbiers de posidonies.
L’herbier de posidonie n’est pas n’importe quelle plante marine de la mer Méditerranée, mais un habitat essentiel pour 25 % des espèces de la région. Les chercheurs estiment que la Méditerranée abrite environ 17 000 espèces, dont 4 000 dépendent de la présence d’herbiers de posidonies pour leur survie.
Sahbi Dorai
« Entre 30 et 40% des poissons comestibles de la Méditerranée proviennent des herbiers de posidonies « , explique Yassine Sghaier. L’accumulation des feuilles de posidonies sur la plage forme des bancs vitaux qui servent d’écosystème et d’abri pour diverses espèces animales, notamment les crustacés. De plus, ces bancs de posidonies jouent un rôle essentiel dans la protection du littoral contre l’érosion et dans le maintien de l’équilibre écologique global de l’écosystème côtier. »
Sous pression : les menaces croissantes qui pèsent sur l’herbier de posidonie
Le développement et la modification des zones côtières suscitent des inquiétudes quant aux menaces potentielles qui pèsent sur l’écosystème fragile des herbiers de posidonies. La construction de barrières de pierre et de brise-lames, souvent utilisés pour protéger les côtes, peut involontairement perturber l’équilibre délicat des herbiers de posidonies. Comme ces structures modifient le flux naturel des courants et les schémas de sédimentation, elles risquent de se glisser sur les herbiers et de les perturber.
Les modifications de l’environnement côtier, en particulier celles résultant de l’aménagement du littoral à des fins touristiques, peuvent avoir de graves conséquences pour les délicats herbiers de posidonies. Les forts courants résultant de ces changements risquent de déraciner l’ensemble de l’écosystème. Parallèlement, un apport excessif de sédiments peut étouffer l’herbier, dont la rareté le rend sensible au déracinement accidentel.
Yassine Ramzi Sghaier
Sahbi Dorai déplore : « J’ai plongé près de la décharge de l’Office national de l’assainissement de Tunisie (ONAS), et dans de nombreuses zones, il n’y a pas d’herbier de posidonie, avec des parcelles réduites de 50 cm, ce qui laisse supposer que les eaux usées et les impacts industriels de l’industrie de Monastir affectent cet écosystème vital. Cela indique que les eaux usées et les impacts industriels de l’industrie de Monastir ont un impact sur cet écosystème vital ».
Dans les écosystèmes marins, les répercussions de la pollution vont au-delà des habitants de la mer. Elles menacent également la flore délicate qui prospère sous les vagues. Les altérations physico-chimiques de l’eau résultant de la pollution représentent un danger majeur pour le monde sous-marin. La pollution continue de contaminer les eaux côtières et ses effets insidieux représentent une grave menace pour les fondements mêmes de l’écosystème marin, en particulier pour la flore complexe et vitale qui entretient la vie sous la surface.
Yassine Ramzi Sghaier souligne un danger particulier : « Le déversement massif de phosphogypse dans le golfe de Gabès a considérablement modifié les caractéristiques physico-chimiques de l’eau, en particulier sa transparence. La survie de l’herbier de Posidonie dépendant fortement de la lumière, ces changements mettent en péril son existence même. »
Cet impact a été corroboré par une étude récente menée par le Dr Radhouane Zrelli, spécialiste des sciences de l’environnement, qui a révélé une dure réalité. L’étendue autrefois florissante de l’herbier de Posidonie dans le Golfe de Gabès, estimée à une surface substantielle dans les années 1970, a diminué à seulement ~10% en 2014. Ce déclin significatif a été principalement attribué à la pollution industrielle provenant des industries d’engrais phosphatés, qui rejettent annuellement environ ~10,95 millions de tonnes de phosphogypse humide non traité (équivalent à ~30 × 103 tonnes par jour) dans l’environnement côtier du golfe de Gabès.
Plus il est gros, plus il détruit!
Les herbiers de Posidonia Oceanica sont particulièrement sensibles aux activités humaines qui provoquent une altération directe, principalement due à l’action mécanique. Parmi les impacts mécaniques, l’utilisation d’ancres est constamment citée comme la principale cause de dommages à ces herbiers.
En moyenne, 100 bateaux arrivent aux îles Kuriat. Ainsi, si chaque bateau jette l’ancre une fois par jour, nous assisterions à la destruction de 50 bottes de posidonies, soit 5 000 plants de posidonies détruits chaque jour, et un nombre stupéfiant de 15 000 plants perdus en moyenne par mois. Dans d’autres pays, il s’agit de milliers de bateaux, ce qui fait frémir à la vue de la quantité de posidonies détruites par le mouillage.
Yassine Ramzi Sghaier
La plante marine emblématique, la posidonie, n’a pas été épargnée par le chalutage de fond (en savoir plus sur le chalutage de fond en Tunisie), ce qui a contribué à son déclin dévastateur. Cette méthode de pêche intensive, qui consiste à traîner des filets sur les fonds marins pour capturer une multitude de poissons, ravage impitoyablement les herbiers de posidonies. En Tunisie, la loi a justement interdit cette technique de pêche à des profondeurs inférieures à 50 mètres, précisément pour protéger ces herbiers vitaux, comme l’indique Yassine Ramzi Sghaier.
La lenteur de la croissance des posidonies, seulement 3 centimètres par an, intensifie les conséquences destructrices du chalutage de fond, la régénération prenant des milliers d’années. Ce qui est perdu en surface l’est à jamais, et c’est malheureusement le résultat des actions des chalutiers de fond.
Yassine Ramzi Sghaier
Cependant, malgré cette protection, il n’existe toujours pas de loi spécifique visant directement ces écosystèmes sous-marins qui se développent sur la quasi-totalité des côtes tunisiennes. En revanche, d’autres pays comme la France les ont sauvegardés en tant que « paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral » depuis septembre 1989.
La Convention de Barcelone, dont la Tunisie est signataire, préconise fermement l’adoption de mesures appropriées pour protéger les populations de Posidonia Oceanica et de toutes les autres phanérogames marines (plantes marines à fleurs et à graines), qui constituent une flore essentielle dans le système côtier méditerranéen. Elle souligne également la nécessité de réglementer le chalutage de fond et les autres activités qui entraînent la destruction des herbiers marins et des autres phanérogames marines.
Les problèmes de température : Le changement climatique et ses effets sur l’herbier de posidonie
Face aux périls du changement climatique, nous ne pouvons ignorer la menace imminente qu’il fait peser sur la posidonie, espèce en voie de disparition. La tendance observée au réchauffement de la mer Méditerranée et l’augmentation attendue des épisodes de canicule, ainsi que d’autres observations liées au climat dans la région (telles que la réduction de la transparence de l’eau et l’augmentation des tempêtes violentes), indiquent que les prairies sous-marines de posidonies sont confrontées à un stress climatique de plus en plus important. Ce défi incessant oblige la plante à canaliser toute son énergie pour préserver son existence naturelle.
La posidonie mène une lutte acharnée pour préserver son existence naturelle. Les enjeux sont importants et la survie de cette plante remarquable est en jeu.
Selon Sahbi Dorai, ces dernières années, les herbiers de posidonies ont montré des signes de stress, ce qui a donné lieu à une étonnante floraison d’olives de mer le long de la côte tunisienne. Ce spectacle vibrant d’activité reproductrice témoigne de la détermination de la plante à persévérer malgré l’adversité. Les scientifiques pensent que l’augmentation de la température de l’eau pourrait être un facteur contributif, mais l’ampleur réelle de son impact reste une hypothèse.
Remarquablement résistante, la posidonie consacre toute son énergie à la reproduction face à une pression environnementale intense. Cependant, cette concentration unique rend la plante vulnérable et moins résistante aux autres facteurs environnementaux. C’est une course contre la montre qui s’engage pour la survie de la posidonie dans un monde en pleine mutation.
Pourtant, la capacité d’adaptation de cette plante extraordinaire ne doit pas être sous-estimée. La posidonie a prouvé sa capacité à résister à de nombreux défis, non seulement au changement climatique, mais aussi aux pressions exercées par l’homme sur l’écosystème. C’est grâce à son esprit révolutionnaire qu’elle continue à se dresser, à défier les obstacles et à aller de l’avant.
Yassine Ramzi Sghaier souligne à juste titre que la posidonie, comme tout écosystème, peut résister et se défendre contre quelques menaces. Cependant, la situation devient désastreuse lorsqu’un cocktail de cinq menaces différentes s’abat sur elle.
Conservation de la posidonie : Les efforts de l’homme ouvrent la voie
Face à la situation désastreuse de la posidonie, il existe une lueur d’espoir dans la sagesse d’experts tels que Sahbi Dorai. Il met en lumière le potentiel caché de la posidonie, en soulignant sa capacité à agir comme une solution naturelle et rentable pour résoudre les problèmes d’érosion le long des côtes.
« Les bancs de posidonies sur la plage représentent les milliards perdus dans la construction de structures en pierre, telles que les brise-lames et les récifs artificiels en béton, pour protéger les plages de l’érosion. Il s’agit d’une alternative 100 % naturelle et très efficace, gratuite, pour compenser ces projets à grande échelle », explique M. Dorai.
Cette déclaration souligne l’immense importance de la posidonie dans la conservation de l’environnement et nous invite à reconnaître son rôle crucial en tant que protecteur naturel des littoraux. Mais pourquoi cette plante marine sentinelle reste-t-elle souvent négligée et sous-estimée ?
La plus grande menace qui pèse sur la posidonie est l’ignorance. Comment pouvons-nous espérer protéger une espèce dont la valeur et l’importance restent inconnues et sous-estimées ?
Yassine Ramzi Sghaier.
Heureusement, des organisations comme Notre Grand Bleu prennent des mesures audacieuses pour sensibiliser à l’importance écologique de la posidonie. Leur cabane de sensibilisation sur l’île de Kuriat sert de plaque tournante, invitant des milliers de touristes et de citoyens, jeunes et vieux, à découvrir le rôle essentiel de Posidonia Oceanica dans l’écosystème. En outre, ils organisent des sessions éducatives pour les écoliers et tous les visiteurs de l’île sur la nécessité de conserver la posidonie.
L’impact de Notre Grand Bleu s’étend au-delà des rives de l’île et sur les bateaux qui arrivent chaque jour. Le défi posé par les dommages potentiels causés par les ancres des bateaux aux délicates prairies de posidonies a été relevé par une solution innovante : l’ancrage écologique, dont l’organisation a été la première à se doter. Cette approche respectueuse de l’environnement a été mise en œuvre avec succès sur les six bateaux touristiques qui visitent chaque jour les merveilleuses îles Kuriat.
« Les grands bateaux qui accostent aux îles Kuriat ne laissent plus aucune trace sur la précieuse prairie marine grâce à l’adoption de pratiques d’ancrage écologiques. Les propriétaires de ces navires sont également ravis de cette approche innovante, car elle assure leur sécurité et les protège des vents violents », explique Sahbi Dorai.
La réunion inaugurale du Réseau méditerranéen de posidonies (RPM) a eu lieu du 21 au 24 septembre 2021 à Formentera, en Espagne, ce qui constitue un pas important vers la coopération internationale dans la région méditerranéenne. Organisé par l’ Office français de la biodiversité (OFB) et le ministère de l’Environnement et du Territoire des îles Baléares, cet atelier a réuni des participants des États membres de l’Union européenne, d’Algérie, de Tunisie et d’organisations méditerranéennes. L’objectif principal était de formuler une feuille de route globale pour l’ensemble de la Méditerranée et de renforcer les politiques européennes pour la conservation de cette algue marine vitale.
En conclusion, les menaces qui pèsent sur la biodiversité marine exigent une attention urgente et une action collective. Il est impératif que les gouvernements, les organisations et les individus s’unissent pour sauvegarder nos précieux écosystèmes marins pour le bien-être des générations futures. Ce n’est qu’au prix d’efforts concertés que nous pourrons espérer préserver la riche tapisserie de la vie sous les vagues et garantir un monde marin durable et dynamique pour les années à venir.
Cet article a été rédigé en collaboration avec le projet Earth Journalism Media Mediterranean Initiative.
Copyright © 2023 Blue Tunisia. Tous droits réservés
Sources :
- https://seaescape.fr/blog/2021/04/17/ancrage-posidonie/
- https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0025326X22011006#:~:text=The%20quantity%20of%20CO2,million%20%E2%82%AC%20(Table%203)
- https://medposidonianetwork.com/pressures/
- https://ejfoundation.org/resources/downloads/Joint-NGO-Policy-Brief-FR.pdf
- https://www.ofb.gouv.fr/actualites/renforcer-la-cooperation-internationale-pour-preserver-la-posidonie-en-mediterranee
