Les espèces de poulpes jouent un rôle important dans la région côtière de Kerkennah, un archipel tunisien niché dans la mer Méditerranée à une vingtaine de kilomètres de la côte de Sfax. Il fait partie intégrante de la culture locale, profondément ancrée dans les traditions depuis des générations. Les pêcheurs ont perfectionné l’art de récolter cet énigmatique céphalopode au fil des ans, forgeant ainsi un lien profond entre la communauté et la mer. Néanmoins, malgré son importance culturelle, l’espèce du poulpe est confrontée à plusieurs menaces qui mettent en péril sa survie.
En effet, la production tunisienne a fortement diminué. De 2008 à 2018, la production annuelle moyenne était d’environ 35 000 tonnes. Cependant, la production a chuté à moins de 3 500 tonnes en 2021, ce qui représente une baisse stupéfiante de 90 %. Ces difficultés ont suscité des inquiétudes quant à la viabilité à long terme de ce symbole bien-aimé de l’excellence culinaire et à la place qu’il occupe dans le patrimoine culturel de la région.
Juillet 2023, Kerkennah
La précieuse pieuvre de Kerkennah : L’appel à l’aide de pêcheurs désespérés
Les eaux tunisiennes, autrefois florissantes, sont aujourd’hui une source d’inquiétude, car l’équilibre délicat de ses pêcheries est menacé. Rencontrez Kays Ezzedine, un ardent pêcheur artisanal de Kerkennah qui se lamente sur le sort incertain de sa mer bien-aimée, la véritable bouée de sauvetage qui le fait vivre. Le cœur de Kays a toujours appartenu à la grande bleue, malgré son diplôme en tourisme. Mais aujourd’hui, alors qu’il voit l’écosystème marin autrefois florissant s’effondrer sous ses yeux, il est rempli d’effroi.
J’ai grandi au bord de la mer et c’est ma maison depuis toujours ». Malgré mes études, je me définis comme un pêcheur artisanal.
Kays Ezzedine

Sa voix était chargée d’émotion. Ses collègues pêcheurs partagent leurs profondes inquiétudes quant à l’avenir de la mer et au bien-être de leurs précieuses espèces marines, en particulier la pieuvre emblématique qui symbolise le riche patrimoine culturel de Kerkennah. La mer, qui grouillait autrefois de vie et d’abondance, subit aujourd’hui des changements inquiétants, ce qui suscite des craintes quant à l’avenir. Le sort des espèces est en jeu et le poulpe, élément clé de l’identité côtière de Kerkennah, est confronté à un avenir incertain.
Les pêcheurs de Kerkennah s’inquiètent de voir leur mode de vie disparaître à mesure que la mer change. Le poulpe, qui était autrefois un symbole florissant de leur patrimoine culturel, est aujourd’hui menacé d’extinction, laissant un vide au cœur de cette communauté côtière.
Le lien fort entre Kerkennah et la pieuvre
L’écosystème méditerranéen abrite huit espèces de poulpes, toutes présentes sur la côte tunisienne. Octopus vulgaris, l’espèce commune de poulpe, est un représentant éminent de ces céphalopodes, avec une importance écologique et culturelle significative dans la région. Cependant, la relation du peuple Kerkennah avec le poulpe va au-delà de la simple appréciation culinaire. Il s’agit d’un lien fort fondé sur la tradition, la culture et le lien profond entre la communauté locale et la mer. Le poulpe occupe une place si particulière dans le cœur des habitants de Kerkennah qu’ils commémorent son importance par un festival dédié au cours duquel ils se rassemblent pour honorer cette espèce extraordinaire qui symbolise leur identité.

Des générations de pêcheurs ont transmis des méthodes de pêche traditionnelles profondément enracinées dans leur patrimoine culturel, garantissant ainsi la récolte durable de cette créature.
Kays Ezzedine
En outre, le peuple Kerkennah a créé des façons uniques et spéciales de cuisiner le poulpe, le transformant en délicieux mets culinaires qui honorent leurs traditions côtières et leur riche histoire.

Soutenir l’énigme de la mer : naviguer dans la réglementation tunisienne sur la pêche au poulpe
Selon la loi n° 94-13 du 31 janvier 1994, la pêche au poulpe en Tunisie est gérée méticuleusement, avec des campagnes de pêche programmées de la mi-octobre à la mi-mai. Cependant, du 15 mai à la mi-octobre, et occasionnellement jusqu’en novembre, une interdiction de pêche stricte est en vigueur pour protéger la population de poulpes pendant sa période critique de reproduction. Selon Hanem Djabou, chercheur à l’Institut national des sciences et technologies de la mer, ces décisions ne sont pas arbitraires, mais résultent plutôt de recherches scientifiques approfondies menées par des chercheurs et la Direction générale de la pêche.
Une évaluation complète de la taille et de l’abondance de la population de poulpes garantit la mise en œuvre de pratiques de pêche durables et optimise sa gestion. Cette politique vise à protéger les poulpes pendant leur période critique de reproduction, en assurant la reconstitution de la population et l’équilibre écologique. Selon Hanem Djabou, la régulation du marché est également un aspect important de la conservation du poulpe. Il est spécifiquement interdit de capturer des pieuvres pesant moins de 1 kg. Ce seuil de poids est important car il indique que le poulpe s’est reproduit au moins une fois, assurant ainsi la survie de la population. Les débarquements inférieurs à la taille réglementaire, comme pour toutes les espèces, sont tolérés tant qu’ils ne dépassent pas 10 % des captures totales.
Selon la direction générale de la pêche et de l’aquaculture (GIPP), cette approche équilibrée permet une certaine flexibilité tout en garantissant que la majorité des poulpes capturés sont de taille adéquate, ce qui indique une reproduction réussie et contribue à la durabilité de l’espèce.
Le patrimoine maritime de Kerkennah : La pêche au poulpe, un métier ancestral
Selon les recherches d’Ezzeddine Najai, deux types de pièges sont couramment utilisés pour la pêche au poulpe à Kerkennah : les fameuses « jarres d’argile » et les pierres creuses. Les pierres creuses se sont avérées plus efficaces pour capturer des poulpes de plus grande taille après ses recherches et la comparaison de leurs prises, en particulier lorsqu’elles sont placées dans des eaux moins profondes près de la côte. En fait, les pierres creuses utilisées pour capturer les poulpes sont connues depuis le début du XXe siècle. Depuis les années 1950, elles ont été remplacées par des blocs de ciment moulé percés d’un trou. Selon Kays, les familles Kerkennah possèdent des parcelles de mer qui ont été transmises de génération en génération et qui sont utilisées pour la pêche au poulpe.

Nous avons l’habitude de capturer des poulpes dans ces parcelles à l’aide de nasses, qui sont des blocs de béton placés sous l’eau. Les pêcheurs récupèrent ensuite ces nasses et inspectent le fond du piège à la recherche de poulpes. Ces créatures sont extrêmement intelligentes mais très timides, elles se réfugient dans ces nasses qu’elles considèrent comme leur maison.
Kays Ezzedine
Malheureusement, cette pratique chère aux pêcheurs s’étiole au fil du temps, principalement en raison de la présence de chalutiers dans les eaux (kiss). Ces grands navires de pêche mettent en péril les nasses traditionnelles utilisées par les pêcheurs artisanaux, causant des dommages souvent coûteux à réparer ou à remplacer.

Le coût de l’entretien de nos casiers devient prohibitif, et il est déchirant de voir ces bateaux malveillants les endommager. Cette situation met à rude épreuve notre ancienne technique de pêche. Nous avions autrefois des centaines de ces pots, mais il n’en reste plus que quelques-uns. Nos ancêtres utilisaient des jarres traditionnelles en argile semblables à celles que nous utilisons aujourd’hui. Ces jarres sont sélectives et respectueuses de l’environnement, ce qui témoigne d’une grande considération pour l’espèce. Malheureusement, nous ne pouvons plus les utiliser aussi librement qu’avant à cause des chalutiers qui envahissent nos parcelles de pêche et endommagent nos pots. Beaucoup de gens utilisent aujourd’hui des pièges en plastique, qui sont certes moins chers et plus faciles à remplacer lorsqu’ils se cassent, mais qui ont un impact négatif sur l’environnement et sont également illégaux », déplore K.Ezzedine.
La pieuvre en péril : Découvrir les forces menaçantes qui menacent leur survie
Selon Abir Gharbi, ingénieur de la pêche et de l’environnement et agent de garde-pêche au port de Sfax, le poulpe est menacé par une multitude de facteurs qui mettent en péril sa survie dans l’écosystème marin. Les chalutiers (kiss) constituent une menace majeure car ils ratissent sans relâche les fonds marins, perturbant les habitats où les poulpes se reproduisent et prospèrent. Ces énormes navires de pêche laissent dans leur sillage une traînée de dévastation qui endommage les casiers utilisés par les pêcheurs artisanaux pour capturer leurs prises.
« Ces chalutiers sont une menace ! Ils arrivent avec leurs engins destructeurs, déchiquetant les fonds marins. Ils n’ont aucune pitié, détruisant l’écosystème benthique et anéantissant les posidonies où vit et prospère notre précieux poulpe. Assister à la décimation de la vie marine dont nous dépendons pour vivre nous brise le cœur. Et ce n’est pas tout ! Ces chalutiers n’ont aucune considération pour les engins de pêche et les casiers que nous déposons laborieusement dans les eaux. Ils les écrasent sans remords, nous laissant avec des outils cassés et des espoirs brisés. C’est comme s’ils ne se souciaient que de leur propre profit, sans se soucier des pêcheurs qui luttent pour gagner leur vie. La mer est notre sang, la source de notre subsistance et de notre prospérité. Mais ces chalutiers égoïstes ne semblent se préoccuper que de leurs profits, sans se soucier de l’impact de leurs actions sur nos vies ou sur la santé de la mer que nous chérissons », fustige K.Ezzedine.

De plus, l’invasion d’espèces telles que le vorace crabe bleu exacerbe la situation dangereuse. Ces créatures envahissantes s’attaquent aux jeunes pieuvres, réduisant leurs chances de maturation et contribuant au déclin de la population. En outre, l’omniprésence du changement climatique ajoute aux difficultés. L’augmentation de la température des mers et l’acidification des océans perturbent l’équilibre délicat de l’environnement marin, affectant les schémas de reproduction des pieuvres et la disponibilité de leurs proies. Ce déséquilibre écologique complique leur survie. Selon Abir, la surpêche est une préoccupation majeure, car la demande de poulpes augmente. En effet, en l’absence d’une réglementation appropriée et de pratiques de pêche responsables, la population de poulpes risque d’être décimée, ce qui aurait des conséquences à long terme tant pour l’espèce que pour la communauté des pêcheurs. Enfin, la pêche pendant les périodes de reproduction est préjudiciable aux populations de poulpes. Elle réduit le succès de la reproduction, menaçant ainsi leur nombre et la durabilité de la pêche.
Malheureusement, certaines personnes ne respectent pas les règles ; elles pêchent en dehors des saisons désignées et ignorent d’autres réglementations. Ce comportement imprudent nuit à la mer et nous affecte tous, en particulier ceux qui suivent les règles religieusement.
Kays Ezzedine
La chute spectaculaire de la production moyenne de poulpe au cours de la dernière décennie est le résultat des facteurs qui ont considérablement remis en question la pêche dans le pays. Selon Hanem Djabou, la production moyenne de poulpe de 2008 à 2018 était d’environ 35 000 tonnes, ce qui indique une industrie relativement stable. Cependant, au cours des trois dernières années (2019-2021), la production moyenne a chuté de façon spectaculaire à moins de 3 500 tonnes, soit une baisse de plus de 90 % par rapport à la décennie précédente. Ce déclin alarmant met en évidence l’impact combiné de la surpêche, du changement climatique et de la dégradation de l’habitat, qui ont tous eu un impact significatif sur la population de poulpes.
Des règles à la résilience : Sauvegarde de la population de pieuvres grâce à des règlements appliqués
Le poulpe, scientifiquement classé comme « céphalopode », fait partie du groupe des espèces benthiques, selon le « Groupement interprofessionnel des produits de la pêche » (GIPP). Il vit à des profondeurs allant jusqu’à 150 mètres en tant qu’espèce démersale côtière. Le poulpe a une taille de 15 à 25 cm, peut atteindre une longueur maximale de 55 cm et un poids de 0,15 à 2,2 kg. Cette espèce est un produit très recherché en Tunisie, principalement pour les marchés d’exportation. Les exportations de poulpe ont totalisé environ 1,1 mille tonnes en 2020, reflétant une baisse constante depuis 2017 où elles ont atteint un pic d’environ 1,9 mille tonnes.

Selon Abir Gharbi, l’une des solutions essentielles pour résoudre les problèmes identifiés dans la pêche au poulpe est l’application stricte et équitable des réglementations existantes. La lutte contre les pratiques de pêche illégales, non déclarées et non réglementées (pêche INN) est le principal défi à relever. Pour traiter efficacement ce problème, il est essentiel de fournir aux services de pêche locaux les ressources logistiques nécessaires pour compléter les efforts de surveillance et de contrôle.
En tant que pêcheur, je suis irrité de voir comment les règlements sont bafoués. Nous avons de bonnes lois, mais elles ne sont pas appliquées correctement. Les gens ne tiennent pas compte des règles et trouvent des moyens de les exploiter sans aucune répercussion. Ce qui m’irrite encore plus, c’est le manque d’intérêt pour la vie marine. J’ai vu des bébés poulpes vendus à moins de 200 grammes, ce qui est à la fois injuste et contraire à l’éthique. On devrait les laisser grandir et se reproduire dans la mer, mais ils sont vendus partout. Pourquoi fermons-nous les yeux sur ces violations évidentes qui mettent en danger nos océans ?
Kays Ezzedine
Outre les mesures d’exécution, la sensibilisation des pêcheurs et des communautés locales et les campagnes d’éducation devraient être prioritaires afin de mettre en œuvre ces mesures de manière efficace. Une culture du respect des règles et des pratiques de pêche responsables peut être encouragée en éduquant les pêcheurs et les communautés locales sur les saisons de pêche, les réglementations et les effets négatifs de la surpêche. Il est essentiel d’encourager les citoyens à valider et à renforcer le respect des réglementations, telles que l’interdiction de consommer des poulpes en dehors des saisons de pêche désignées ou de peser moins que le poids minimum requis. Ces dernières années, la sensibilisation a connu un essor considérable, grâce aux efforts inébranlables de la société civile et des associations, l’association TunSea pour les sciences participatives jouant un rôle moteur dans ce domaine.
Enfin, un avenir plus durable pour la pêche au poulpe en Tunisie peut être atteint en appliquant strictement les réglementations, en sensibilisant et en encourageant les efforts de collaboration. Ces solutions, associées à un engagement commun en faveur de la protection des ressources marines, seront essentielles pour préserver l’équilibre délicat de l’écosystème et garantir l’héritage de cette espèce culturellement importante pour les générations futures.
Cet article a été rédigé en collaboration avec le projet Earth Journalism Media Mediterranean Initiative.
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