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Que ce soit sur les côtes ou en haute mer, nos écosystèmes marins font face à une pression grandissante due à l’expansion des activités humaines. Aucune zone de notre planète n’est épargnée, avec près de 41% des océans en proie à une dégradation significative. Le chalutage de fond destructeur, la surpêche épuisant nos ressources, le vacarme incessant des activités marines et les espèces invasives mettent en péril la biodiversité marine, qui joue un rôle vital tant pour les écosystèmes marins que terrestres. Pour couronner le tout, le changement climatique ajoute une menace majeure à l’équilibre de ces espaces marins.

Face à ces défis de taille, les Aires Marines et Côtières Protégées (AMCPs) se dressent comme une première ligne de défense pour préserver ces précieux écosystèmes, lutter contre ces menaces grandissantes et garantir un avenir durable. Cependant, une question se pose : les AMCPs contribuent-elles réellement à la préservation des écosystèmes marins ou bien sont-elles elles-mêmes confrontées à des menaces qui les mettent en péril ?

Monastir, juin 2023

Les périls qui guettent sous la surface : L’océan en danger face à un flot de menaces »

Les océans font face à une multitude de menaces qui mettent en péril leur équilibre délicat. En tête de liste se trouve la surpêche, une pratique qui épuise les stocks de poissons, perturbe les chaînes alimentaires et peut entraîner l’effondrement complet des écosystèmes marins. Plus de 55 % de la surface océanique subit une exploitation intensive des ressources halieutiques.

Le nombre d’embarcations de pêche, qu’elles soient artisanales ou industrielles, ne cesse de croître de manière alarmante. Les limites réglementaires sont souvent ignorées, et les prises effectuées en dehors de la saison de reproduction ont provoqué une diminution inquiétante des stocks marins. Selon les statistiques, cette diminution est estimée à près de 60 % depuis les années 90, comme l’affirme Mehdi Aissi, responsable du programme marin au World Wildlife Fund (WWF) Tunisie.

Le chalutage de fond, pratiqué encore dans certaines zones protégées, inflige des dommages considérables aux écosystèmes marins. Il perturbe de manière significative les stocks de carbone accumulés pendant des milliers d’années. Les conséquences de cette activité sont alarmantes. La destruction des habitats côtiers tels que les herbiers de posidonie, les mangroves et les récifs coralliens est particulièrement préoccupante. Malheureusement, cette destruction est souvent le résultat de l’urbanisation, de la pollution et d’autres pratiques humaines non durables, en particulier celles liées au tourisme.

« Sur les îles Kuriat, nous avons clairement identifié un impact écologique significatif causé par l’arrivée quotidienne des six bateaux touristiques », déclare Ahmed Souki, membre fondateur et vice-président de l‘association Notre Grand Bleu de Monastir. Il ajoute, « Les résultats de nos études révèlent qu’environ 30 % des faisceaux de Posidonie sont touchés en raison des pratiques d’ancrage, entraînant ainsi une diminution de leur densité allant de 600 à 700 faisceaux par mètre carré de surface marine. »

De plus, les activités humaines génèrent une pollution sous différentes formes, telles que les produits chimiques toxiques (pesticides, intrants), les hydrocarbures, les déchets plastiques et les nutriments issus de l’agriculture, de l’aquaculture et des zones urbaines, qui ont des effets néfastes sur les organismes marins.

Aires marines et côtières protégées en Tunisie : Préservation pour une biodiversité marine plus équilibrée

La prise de conscience de l’importance vitale de l’océan et de sa biodiversité a récemment gagné du terrain au sein de la communauté internationale, en particulier en Méditerranée. Cela a conduit à une nouvelle dynamique de préservation des écosystèmes marins, avec l’établissement des Aires Marines et Côtières Protégées (AMCP) et la mise en place de structures de gouvernance dédiées à leur gestion.

Selon Ahmed Souki, l’un des principaux acteurs engagés dans la gestion des îles Kuriat, qui sont en cours de création en tant qu’AMCP, les espaces marins proches des îles et des systèmes côtiers jouent un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité marine. Qu’il s’agisse d’écosystèmes insulaires ou côtiers, ces zones abritent une remarquable diversité d’espèces et de ressources marines. La définition d’une AMCP repose sur les conventions internationales telles que celles de Barcelone et de Rio de Janeiro, ainsi que sur les directives de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

« Une Aire Marine Protégée (AMP) est un espace géographique clairement défini, reconnu, spécialisé et géré par des moyens légaux ou d’autres moyens efficaces, visant à assurer la conservation à long terme de la nature et des services écosystémiques et valeurs culturelles qui y sont associés », explique Nigel Dudley, dans les  « Lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées » de l’UICN.

Les AMP en Méditerranée se divisent en trois catégories distinctes. Les AMP strictement fermées interdisent complètement l’accès et la pêche afin de prévenir les menaces pesant sur les espèces et la biodiversité. Elles se trouvent généralement à proximité de Port-Cros ou de Marseille. Certaines AMP sont temporairement fermées ou réglementées dans des zones spécifiques, avec des interdictions de pêche et d’activités humaines établies après une surveillance approfondie. Des balises sont utilisées pour délimiter ces zones, comme c’est le cas à Nueva Tabarca en Espagne. D’autres AMP sont ouvertes au public, permettant la pêche sous certaines réglementations, comme en Tunisie. Ces différentes approches témoignent de la diversité des politiques de conservation en Méditerranée, visant à préserver les écosystèmes marins et leur richesse biologique. 

Que dit la loi Tunisienne ?

Selon MedPAN, le réseau des gestionnaires d’AMP en Méditerranée, la Tunisie compte un nombre important d’aires protégées ou gérées avec une composante marine, dont la plupart sont des sites Ramsar* . Parmi eux, quatre sites sont en projet de création en tant qu’AMCP : les îles Kneiss, l’Archipel de la Galite, les îles Kuriat et les îles Zembra et Zembretta. Les plans de gestion de ces sites sont déjà établis et ils attendent uniquement le décret et la déclaration officielle pour être reconnus en tant qu’AMCP.

La création des AMCP est un processus précis qui intègre l’avis du public. L’état Tunisien a commencé à le mettre en place en 2014, à la suite de l’adoption des décrets d’application de la loi 2009-49 du 20 Juillet 2009 sur les AMCP.

Selon Ahmed Souki, le processus de création des AMP commence par une proposition du ministère de l’Environnement et du ministère de l’Agriculture à l’autorité nationale des AMCP. Une enquête publique est ensuite lancée afin de recueillir des objections ou d’identifier des propriétés dans les zones qui seront désignées comme AMP. Une fois l’enquête terminée, un registre est transmis au gouverneur de la région, puis au ministre de l’Environnement, avant d’être soumis au Parlement pour officialiser la désignation en tant qu’AMP.

Bien que les îles Kuriat ne soient pas encore formellement reconnues comme des AMP sur papier, elles sont considérées comme étant en avance par rapport aux autres zones de la Méditerranée hmed Souki.

Ahmed Souki

Au sein du comité de pilotage des îles Kuriat, il a été constaté que l’activité touristique sur l’île ne correspondait pas au concept d’une AMP. Selon le vice-président de l’association Notre Grand Bleu, l’utilisation de plastique et de matériaux inappropriés était répandue, et il était évident qu’il n’y avait pas de gestion visuelle claire indiquant la présence d’une AMP ou d’une future AMP. Des consultations approfondies ont été menées avec tous les partenaires concernés, tels que l’APAL, le gouvernorat, la municipalité, la direction régionale du tourisme et le ministère de la santé, aboutissant à l’élaboration d’un cahier des charges. Selon Ahmed Souki, tout bateau souhaitant opérer dans cette zone devra dorénavant respecter ce cahier des charges. En conséquence, des mesures écologiques ont été mises en place, éliminant l’utilisation du plastique et instaurant des pratiques plus respectueuses et durables de l’environnement, notamment en ce qui concerne les tortues et leurs nids. Ces actions sont mises en œuvre dans le cadre des procédures d’une AMP, même avant sa création officielle.

Sauvegarde des espèces en péril : L’impact vital des Aires Marines Protégées contre l’extinction

Les réserves naturelles marines ont toujours été en première ligne dans la préservation des espèces menacées, comme en témoignent les îles Kuriat, Galite et Zembra et Zembretta. Sur ces îles, les activités touristiques sont strictement interdites pour une raison évidente : l’implantation d’infrastructures d’hébergement nécessiterait l’utilisation de lumières artificielles la nuit, perturbant ainsi le principal site de nidification des tortues marines en Méditerranée. Une telle perturbation entraînerait des répercussions néfastes sur tout l’écosystème. Par conséquent, les tortues choisiraient de ne plus fréquenter les îles Kuriat, préférant des zones dépourvues de présence humaine et de lumières artificielles. De plus, le sable des îles présente des caractéristiques physico-chimiques favorables à la survie et à la croissance des œufs de tortues.

Grâce à la gestion responsable et au suivi régulier, l’écosystème est préservé, ce qui a conduit à une augmentation du nombre de nids de tortues. L’année dernière, ce nombre est passé de 30 à 51, établissant ainsi un record en Méditerranée. Ces résultats sont le fruit d’efforts inlassables déployés sur une période de 20 ans.

Ahmed Souki

Les îles de la région de Monastir jouent un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité marine et la conservation des stocks de poissons. Une autre zone, connue sous le nom de Jbel Dhrii, se distingue par sa remarquable diversité d’espèces, suscitant un vif intérêt pour son inclusion dans une AMP. Cette zone revêt une importance capitale en fournissant des habitats essentiels de nourrissage et de refuge pour les poissons, ainsi qu’une source d’opportunités pour les pêcheurs.

L’établissement d’une AMP permet naturellement aux écosystèmes marins de se reposer et de se régénérer. Toutefois, il est crucial de reconnaître que le défi persiste avec la pêche illégale, qui n’est pas spécifiquement liée aux AMP, mais qui sévit dans toute la mer tunisienne, surtout depuis la révolution.

« La création d’une AMP n’implique pas automatiquement une interdiction totale de pêche. Au contraire, les pêcheurs sont encouragés à respecter les réglementations en vigueur concernant les engins de pêche autorisés et les saisons de capture, leur permettant ainsi de continuer à exercer leur activité de manière légale », explique Ahmed Souki.

Menaces imminentes : Les défis qui pèsent sur les Aires Marines Protégées

Les activités humaines, telles que la pêche et la chasse, la destruction des habitats et les risques de pollution accidentelle liés à l’exploitation pétrolière, constituent les principales menaces pour la biodiversité des réserves naturelles marines. La pêche artisanale, qu’elle soit motorisée ou non, a exacerbé les impacts néfastes de la pêche côtière au-delà des limites des réserves marines. Cela se manifeste par le prélèvement direct des ressources et la perturbation de l’écosystème. De plus, la capacité de capture de cette pratique de pêche s’est considérablement accrue. Et l’impact se traduit non seulement par une diminution des effectifs et de la densité des populations halieutiques, mais également par leur déstructuration : fragmentation des zones d’abondance, perte des connectivités écologiques et quasi-élimination des individus âgés et de grande taille. L’érosion côtière et les effets du changement climatique complètent l’inventaire des menaces éventuelles sur les AMP.

« Plus l’importance et la richesse de la biodiversité des AMP sont élevées, plus leur fragilité est accentuée. Dans ces écosystèmes préservés où aucune intervention humaine n’est permise, chaque perturbation est directement attribuable à l’activité humaine. Ainsi, le moindre impact sur une composante aura des répercussions sur l’ensemble de cet écosystème interconnecté », explique Ahmed Souki.

Face à ces défis, de nombreuses initiatives et stratégies ont été mises en place pour renforcer la préservation des AMP. Des partenariats solides entre les gouvernements, les organisations non gouvernementales et les communautés locales se sont formés, permettant une approche collaborative et intégrée de la gestion et de la conservation des zones marines. Des mesures telles que la réglementation de la pêche, l’éducation environnementale, la surveillance accrue et la sensibilisation du public sont mises en œuvre pour lutter contre les menaces qui pèsent sur ces aires protégées. L’avenir de ces espaces préservés en Tunisie et dans la région méditerranéenne est prometteur, offrant ainsi un rayon d’espoir pour la préservation de notre patrimoine naturel.

« Il n’y aucun écosystème sur Terre où les humains ne sont pas un élément essentiel, que ce soit de manière positive ou négative. Ils peuvent provoquer l’effondrement d’un écosystème tout comme le réparer. Et c’est pour cela que nous parlons toujours de la conservation », souligne Chadly Raies dans une interview chez Ecologia podcast.

La gestion des AMP demeure un défi de taille, nécessitant un effort soutenu et une présence constante sur le terrain. Un exemple concret de cet engagement est celui de l’association Notre Grand Bleu à Monastir, qui surveille avec attention l’éclosion des tortues marines de juin à septembre. Afin de garantir un financement stable pour atteindre ses objectifs écologiques, l’organisation s’efforce de sensibiliser les bailleurs de fonds quant à l’importance de sa gestion.

Une preuve tangible de cette sensibilisation réside dans la popularité de la cabane de l’association sur les îles Kuriat, attirant environ 6000 visiteurs chaque année. Ce lieu permet aux visiteurs de saisir l’importance des îles et des actions menées par l’association pour la préservation de la biodiversité marine. Aujourd’hui, la mer représente bien plus qu’une simple réserve pétrolière, elle est devenue une nouvelle source de richesse à exploiter. En préservant et en favorisant son développement, nous pourrions profiter d’une véritable fortune.

Pour arriver à exploiter durablement les richesses marines, il est crucial d’adopter une vision globale, au-delà des frontières régionales ou des zones spécifiques, afin de préserver la Méditerranée pour les générations futures.

Ahmed Souki

Un exemple concret de l’importance d’une vision globale est l’attaque d’une bactérie en Espagne qui a affecté le Pinna Nobilis, une espèce de mollusque. Malheureusement, cette bactérie s’est rapidement propagée en Tunisie, touchant l’ensemble de la Méditerranée. Face à cette situation préoccupante, un programme méditerranéen dédié à la préservation du Pinna Nobilis a été mis en place, soulignant la nécessité d’une coopération internationale pour faire face aux défis communs.

* Ramsar: La convention de Ramsar, officiellement convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, aussi couramment appelée convention sur les zones humides, est un traité international adopté le 2 février 1971 pour la conservation et le développement durable des zones humides.

© Droits d’auteur photo de couverture: IssamBarhoumi

Cet article a été développé en collaboration avec le projet Earth Journalism Media Mediterranean Initiative.

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Sources

Ikram Ben Yezza

Blue TN journalist. I'm specialized in geospatial and environmental engineering .

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